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Journal de bord

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  • 08 juin 2023

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Dans le train, Paris-Karlsruhe

Me voilà dans le train pour aller à Karlsruhe en Allemagne. Je m'y rends pour donner des cours à l'école d'art et de design 1 avec Raphaël Bastide 2. Nous avons décidé d'être joyeux·ses et avons intitulé notre seminar 3 « A party to print » ou comment imaginer une fête qui serait aussi une édition en train de se faire. Nous n'avons rien préparé, nous ne savons pas ce que cela va donner, nous ne voulons pas le savoir. Nous allons construire cette expérience avec les étudiant·es, collectivement.

Quand on me demande « Et toi ? Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? », au lieu de répondre bêtement « Je suis designer graphique, designer d'interaction et développeuse » (ce qui, pour la plupart des gens, ne veut rien dire), je devrais raconter un projet en cours. Je devrais dire « Je fais un séminaire à Karlsruhe intitulé A party to print ». Je pourrais ainsi parler de pédagogie horizontale, de projet collaboratif, d'utilisation et de création d'outils libres, de systèmes alternatifs de publications, d'expérimentations, de cuisine, du syndrome du sauveur, de la recherche de sens...

Ainsi, plutôt que de vous exposer mes grandes théories sur les Digital Tools for Creative Collaboration, je vous propose de vous raconter 5 expériences de faire ensemble, basées sur des outils conçus pour une collaboration numérique (ou pas), qui nous ont rendues utiles (ou pas), heureux·ses (ou pas), en colère (ou pas). Qui nous ont fait réfléchir en faisant et faire en réfléchissant. Qui nous ont, chacune à leur manière, questionné sur les multiples façons dont l'introduction d'outils numériques collaboratifs modifie les relations humaines et nos manières de travailler ensemble, dans un contexte défini. Qui nous ont parfois aussi, amenées à faire l'expérience des limites de nos outils. Bien que la somme de ces récits, montre que les réussites et les échecs ne sont jamais dus à l'outil lui-même mais à la manière dont on va l'utiliser, le présenter, l'introduire, le transmettre, à l'accord tacite passé entre les parties utilisatrices de l'outil, aux objectifs définis ensemble (ou pas).

« There is no drive in cyborgs to produce total theory, but there is an intimate experience of boundaries, their construction and deconstruction. »4

PJ Machine

Durée du projet : 5 jours

Nombre de personnes impliquées : 6

Ressenti : Joie

8 septembre 2016. Musée d'histoire naturelle de Berne

Schéma de fonctionnement Schéma de fonctionnement

Nous venons de passer la nuit dans les bureaux du musée d'histoire naturelle de Berne (Suisse) à imprimer, plier et relier 100 exemplaires de l'édition Frankenstein Revisited. Avec Piero 5, James 6, Anne 7, Catherine 8 et An 9, nous sommes en résidence depuis quelques jours dans le musée, en compagnie d'animaux empaillés 10. Nous 11 avons été invité·es à participer au festival Mad Scientist, organisé par Roland Fisher. Piero, James, Anne, Catherine et An sont venus avec leurs chatbots 12 inspirés du livre Frankenstein; or, the Modern Prometheus de Mary Shelley 13. De mon côté, je suis venue avec la Publishing Jockey Machine 14 (ou PJ Machine), une interface tangible connectée à un programme web, développé pour l'occasion. Le projet consiste à réaliser une édition en trois jours en incluant le groupe dans l'ensemble du processus de création (écriture, iconographie, mise en page, impression et reliure). Les contenus seront issus de discussions avec les chatbots, de textes contextuels sous forme de lettre 15 et de photographies prises dans le musée. Par la discussion, nous avons convenu, en groupe, des principes de base de l'édition (format, reliure, chapitrage et planning). Je mets en place un dossier partagé en local, il accueillera tous les contenus, organisés en dossier. Chaque dossier représente une double page de la publication ; chacun·e est libre d'ajouter du contenu texte ou images. Un ordinateur connecté à la PJ Machine fait office de station de travail pour la mise en page. Je mets en place une charte graphique simple : une taille et une typographie pour le texte, une taille et une typographie pour les titres. Le reste se fait avec la PJ Machine. Cette boîte aux gros boutons d'arcade fonctionne comme un clavier de contrôle. À chaque bouton est assignée une fonction. Il est possible de déplacer les blocs de texte et d'image, d'augmenter ou de réduire les espaces entre les mots, de mélanger les images entre elles ou encore de faire ressortir des mots récurrents. Chaque membre du groupe vient mettre en page ses textes, une fois terminés. La PJ Machine est simple d'utilisation mais elle utilise des interactions auxquelles nous ne sommes pas habituées, ce qui provoque des accidents graphiques heureux. La concentration est maximum lors de la mise en page

La PJ Machine La PJ Machine

Mise en page de *Frankenstein Revisited* par Piero Mise en page de Frankenstein Revisited par Piero

Mise en page de *Frankenstein Revisited* par An (concentration maximum) Mise en page de Frankenstein Revisited par An (concentration maximum)

Lorsque l'on est satisfait de sa double page, un bouton permet l'exportation PDF de celle-ci, prête à être imprimée. Les membres du groupe se succèdent derrière la PJ Machine et les double pages s'exportent dans le désordre. Nous imprimons tous les pdf réalisés (55 double pages au total). Nous les disposons au sol afin de les mettre dans l'ordre. Nous découvrons (enfin) la publication dans son entièreté. Chacun·e est intervenu·e dans chaque étape de la création de l'édition, néanmoins uniquement sur certaines parties. La publication nous apparaît comme un tout organisé et cohérent. Je compile un pdf final pour l'impression.

Organisation des pages imprimées au sol Organisation des pages imprimées au sol

Vue intérieure de l’édition, page contextuelle sous forme de lettre Vue intérieure de l’édition, page contextuelle sous forme de lettre

Vue intérieure de l’édition, augmentation de l’inter-mot Vue intérieure de l’édition, augmentation de l’inter-mot

Vue intérieure de l’édition, mots mis en exergue Vue intérieure de l’édition, mots mis en exergue

La semaine se termine avec la soirée d'ouverture du festival Mad Scientist, nous assistons à un ballet de drônes en animaux empaillés et nous buvons des mojitos réalisés par un robot. Nous avons expérimenté, nous avons rigolé, nous sommes ravi·es de ce travail fait ensemble.

Épilogue : Accéder à la documentation complète du projet

DONC

Durée du projet : 5 jours

Nombre de personnes impliquées : une quarantaine

Ressenti : Mélange de malaise et de satisfaction

26 mai 2018. Château de Cerisy-La-Salle

Operating diagram Schéma de fonctionnement

C'est le dernier jour du colloque Art, littérature et réseaux sociaux Château de Cerisy-La-Salle. C'est le moment du debrief. Nous nous retrouvons dans la belle salle du château. La question est simple : qu'avez-vous pensé du colloque? Une première personne intervient, vive critique de l'expérience DONC. «Quelle idée de proposer un projet numérique connecté à internet dans un lieu pareil, au milieu de la nature, où il n'y a quasi pas de wifi ni de 4G. Nous aurions pu nous déconnecter totalement. Au lieu de cela, nous nous sommes retrouvé·es prisonnièr·es d'une expérience numérique, confronté·es à UN hacker qui nous a pourri la semaine.» 16 Pendant une heure, les discussions n'ont tourné qu'autour de ça, Raphaël 17, Louise 18 et moi sommes largement attaqué·es ainsi que LE hacker. Je jubile en silence en constatant le résultat de notre expérience. Nous voulions recréer un réseau social durant cette semaine. En 5 jours, nous avons eu devant les yeux toutes les situations malaisantes qu'induit un réseau social ou une participation ouverte sur internet. Des images diffusées sans droit d'apparition, du trolling, de l'anonymat, de l'usurpation d'identité, du spam, jusqu'au hack complet du système. Provoquant une grande colère chez les participant·es. Nous avons mis en place un système collaboratif de malheur.

Operating diagram Disposition des pages imprimées pour commentaires manuels

Nous sommes arrivé·es au château de Cerisy-La-Salle en début de semaine pour participer au colloque Art, littérature et réseaux sociaux. Quand je dis nous, c'est nous les participant·es, artistes et universitaires. L'endroit est magnifique. Raphaël, Louise et moi avons une mission spéciale durant cette semaine: mettre en place un système expérimental de documentation du colloque permettant la réalisation d'une publication quasi en temps réel. En amont, nous avons décidé de créer un outil basé sur une liste de diffusion. Nous l'appelons DONC. Tout contenu envoyé par mail à cette liste est reçu par toutes les personnes les inscrites et est automatiquement injecté dans une page web, servant de base à la publication, mise en page en HTML et CSS 19. Chaque demi journée, nous imprimons les nouvelles pages de la publication. Nous les affichons sur de grandes tables d'une salle dans laquelle le passage est dense (c'est aussi la salle de l'apéro). Nous mettons à disposition stylos, scotchs, feutres, crayons etc. afin de permettre le commentaire manuel sur ces pages. Les pages sont ensuite scannées avec un smartphone, afin de constituer un pdf imprimable.

Operating diagram Scan des pages commentées

C'est le premier jour du colloque et nous présentons le projet. Par défaut, tou·te·s les participant·es sont inscrit·es sur la liste de diffusion DONC, rien n'est obligatoire, si quelqu'un·e ne souhaite pas participer nous l'enlevons de la liste. 2-3 personnes décident de se retirer. Assez rapidement la publication se remplit, les mails affluent. Des images des conférences sont envoyées, des textes courts, des blagues, des énigmes, des textes longs, le texte de la présentation précédente etc. Toutes les personnes inscrites participent activement. Les pages imprimées sont commentées, biffées, découpées, triturées. Le soir, quand l'apéro est bien entamé, la blague potache est de rigueur. Le deuxième jour, certains mails semblent cryptés et le Cerisybot 20 fait son apparition. La publication continue de se remplir, des images making off, des photos de Cerisy, des conseils, des textes générés. Le 24 mai, le Cerisybot envoie à nouveau un mail ayant pour objet «[VIRUS] I <3 YOU».

Commencent à apparaître des usurpations d'identité. Certains mails sont envoyés depuis l'adresse email de participant·es qui n'en sont pas les auteur·es. Début de quelques tensions. D'autres spams arrivent dans la soirée du 24 mai, nous recevons les mêmes mails plusieurs fois. Une image de train, un texte qui commence par «Reine d'Égypte, déesse de Nubie» et d'autres. Ces emails sont totalement anonymes. Au matin du 26 mai, tou·t·es les inscrit·es à DONC se réveille la boîte mail pleine de spams. Les rumeurs circulent il y a UN hacker dans le groupe, quelques-uns sont suspectés, dénoncés même. Un des participant déboule dans la salle du petit déjeuner, furieux, son ordi sous le bras «Vous avez cassé mon ordi !». J'examine l'ordinateur «cassé» en question, sa boîte mail est pleine, il n'a jamais vidé la corbeille. Je vide la corbeille, hop, c'est réparé. Sans un «merci» et toujours furieux (probablement l'égo touché par son incapacité technique), il s'en va en claquant la porte, nous ne le reverrons plus.

Mais qui est LE hacker?

Les tensions montent.

Entre le 25 et le 26 mai, la liste de diffusion reçoit un email qui fera planter le système DONC. Las des râles et des critiques vis-à-vis de l'expérience, nous décidons de l'arrêter, prétextant que le système est irréparable. Depuis la petite salle de travail des écuries du château, Raphaël, Louise et moi envoyons un mail sur la liste de DONC

Chèr·e·s participant·e·s,

Le système DONC s'est fait hacker et nous sommes dans le regret de vous annoncer que l'expérience s'arrête maintenant. Après ce mail, vous serez désinscrit·e·s de la liste de diffusion et vos mails ne seront plus traités par DONC.

Vous serez tenu·e·s informé·e·s des suites du projet.

Merci de votre participation (très) active qui a fait de ce projet une réussite,

L'équipe de DONC

Nous profitons de cette interruption pour peaufiner la publication, l'imprimer et la relier. Elle restera imprimée à quelques exemplaires qui ne seront jamais diffusés 21.

Operating diagram Couverture de l’édition imprimée

Operating diagram Double page de l’édition imprimée

Operating diagram Double page de l’édition imprimée

Chépa

Durée du projet : 9 mois

Nombre de personnes impliquées : 25

Ressenti : Fierté

23 mai 2019. Gaîté Lyrique, Paris

Chépa, the newspaper for everyone Chépa, the newspaper for everyone

Je suis assise au plateau bar de la Gaîté Lyrique à Paris. Romain 22 et Anne 23 arrivent avec les 3^e^1 de la classe coopérative du collège Jean-Pierre Timbaud de Bobigny. Iels sont venu·es présenter le projet réalisé ensemble durant l'année. Lyna, Ambre et Christelle 24 présentent Chépa, Le Journal Pour Tou.te.s imaginé, écrit, illustré et mis en page par les élèves de la classe. La présentation se termine par une distribution du journal, les élèves sont fières, iels courts dans tout le bâtiment et dans la rue pour offrir leur création.

Depuis 2015, avec Pauline 25 et Louis 26, sous l'entité l'Atelier des Chercheurs 27, nous développons, entre autres, un logiciel nommé do•doc (prononcer doudoc). Conçu pour documenter et créer des récits à partir d'activités pratiques, do•doc est un outil composite, libre et modulaire, qui permet de capturer des média (photos, vidéos, sons et stop-motion), de les éditer, de les mettre en page et de les publier. Son aspect composite permet de le reconfigurer de manière à ce qu'il soit le plus adapté possible à la situation dans laquelle il est déployé. do•doc comporte une version logiciel en local et une version en ligne. Il a été avec les langages du web et spécifiquement des outils permettant la collaboration en temps réel comme Node.js 28, Electron 29 et Socket.IO 30. Dans l'esprit, de construire ce logiciel dans des contextes spécifiques, nous réalisons des ateliers dans des établissements scolaires afin de mettre à l'épreuve le logiciel et de lui ajouter des fonctionnalités en fonction des besoins repérés.

Le projet a démarré avec les élèves du collège Jean-Pierre Timbaud le 19 septembre 2018. Nous nous voyons une fois par semaine environ pour créer, tou·te·s ensemble, de A à Z un journal autour des questionnements de l'exposition Computer Grrrls 31. Avec Anne et Romain, les deux enseignant·es encadrant le projet, nous décidons d'appliquer au maximum une pédagogie horizontale, un laisser faire encadré. Nous n'imposerons aucune décision, tout le monde est responsable et organisateur·rice.

Les premiers ateliers sont consacrés à la discussion et au débat. La parole est laissée aux élèves. Pour chaque discussion, deux volontaires : un·e répartissant la parole, un·e prenant des notes au tableau. Je leur pose des questions de fond : quel sexisme subissez-vous en tant qu'adolescent·es ? Vos activités extra-scolaire sont-elles genrées ? Pouvez-vous citer des films, jeux vidéos ou musiques qui vous paraissent sexistes ? Mais aussi des questions techniques et logistiques : qu'est-ce qu'un journal ? Quel contenu pour le journal ? Quel sujet ? Comment s'organise-t-on pour travailler ? Combien d'exemplaires ? Comment le distribuer ? Comment l'appelle-t-on ?

Prise de note au tableau d’une séance de discussion en groupe Prise de note au tableau d’une séance de discussion en groupe

Réflexions sur le chemin de fer Réflexions sur le chemin de fer

De ces discussions, trois groupes se forment autour de trois thématiques: les agressions dans l'espace public, la question du genre dans les métiers et les filles dans les jeux vidéo. Les élèves commencent l'écriture des articles sur do•doc, par petit groupe. Tout cela se déroule dans la salle informatique munie de vieux ordinateurs Windows au réseau internet douteux. do•doc est utilisé en local et tous les ordinateurs sont connectés via le wifi à un ordinateur central faisant office de serveur. Ainsi tous les contenus sont regroupés au même endroit, hors-ligne.

Toutes les décisions sont prises en groupe. Nous discutons du chemin de fer, chaque groupe se veut en premier, des compromis sont trouvés. Une séance est dédiée à la réalisation des photographies d'illustration dans le collège et les rues de Bobigny avec Frédéric Danos, une autre à la construction d'une station do•doc 32 au fablab du Carrefour du Numérique de la Cité des Sciences (Paris). Les dernières séances (un peu chaotique à cause des ordinateurs capricieux) sont consacrées à la mise en page des articles sur do•doc et permettent à l'ensemble des participant·es de finaliser le journal tou·te·s ensemble.

Fabrication de la station do·doc au fablab du Carrefour du Numérique Fabrication de la station do·doc au fablab du Carrefour du Numérique

Mise en page des articles sur do·doc Mise en page des articles sur do·doc

Travail en salle informatique sur do·doc Travail en salle informatique sur do·doc

Utilisation de la station do·doc dans les couloirs du collège pour la réalisation d’illustration Utilisation de la station do·doc dans les couloirs du collège pour la réalisation d’illustration

Malgré les difficultés techniques liées aux équipements obsolètes des collèges, les difficultés à gérer un groupe d'adolescentes, les désaccords, la flemme, la temporalité étendue du projet, la fatigue, les insultes, les fautes d'orthographe, nous avons réussi collectivement à créer ce journal, imprimé à 1000 exemplaires.

Épilogue: Lors de cet atelier j'ai tenu un journal de bord après chaque session, il est accessible à cette adresse

La matinale en direct de deux points distincts

Durée du projet : 2h

Nombre de personnes impliquées : 10

Ressenti : Légèreté et plaisir

31 mars 2021. Lorient

Operating diagram Schéma de fonctionnement

Depuis le 29 mars, je suis à Lorient à l'EESAB pour un workshop web2print 33 avec Roman 34. Nous sommes mercredi, c'est le jour de la matinale, une émission d'expérimentations radiophoniques improvisée, de 7h à 9h en direct et en public depuis le Vanilla café 35 au Pré-Saint-Gervais (93) que je co-anime avec dns et hrbr depuis près de trois ans. Sauf qu'aujourd'hui, je suis à Lorient. J'ai donné rdv à 7h à strd, rmn et clr 36 au coin de la rue de mon hôtel. Il fait encore nuit. Je démarre l'application de streaming audio sur mon téléphone portable. Le micro de mon téléphone capte le son ambiant et l'envoie (stream) sur mon point de montage sur le serveur IceCast 37 de ∏Node 38, mon stream live « monte » et s'affiche sur la page d'accueil de p-node.org. jdsk, confortablement installée chez elle, peut lire avec 15 secondes de décalage 39 le flux audio diffusé par mon téléphone et le mixer avec le flux audio réalisé au même moment par dns, hrb et leurs invités depuis le studio radio éphémère au Vanilla Café. Il est donc 7h, mon téléphone capte tranquillement le son ambiant des rues calmes de Lorient pendant que strd et rmn prennent un café à emporter. Nous démarrons la balade. Direction le port de pêche. Aller voir la cabane à sandwichs ouverte à toute heure et peut-être avoir la chance d'interviewer quelques pêcheurs restés un peu tard à la criée. À 500km, de là, au Vanilla café, il s'en passe des trucs, mais nous n'en savons rien, nous ne les écoutons pas, nous participons à l'aveugle à un mix sonore. Nous n'avons pas besoin de nous préoccuper de cette collaboration, le hasard s'en occupe pour nous, aidée par notre jdsk aux manettes du mixage. Nous faisons ce que nous voulons, en deux points distincts, pour produire un tout. Un genre d'égoïsme altruiste.

L'odeur de crevettes industrielles de l'usine de produits surgelés nous accompagne durant la balade. Nous discutons, nous commentons, nous interviewons, nous décrivons. Nous terminons les deux heures d'émission à La base, le port de nautisme de Lorient.

Alors, cette matinale, en direct depuis Lorient et le Pré-Saint-Gervais, s'est découpée comme la nuée que le vent sculpte et retourne au bercail, s'est glissé comme la parole circule dans les courants d'air, un truc à vous décoiffer quand endormi·e vous rêvez qu'on vous coiffe, mélangée par jdsk, animée par grcn, hrbr, dns accompagné·es de leurs invité·es.

Épilogue: D'autres expériences radiophoniques de la sorte ont eu lieu à radio psg matin, la matinale du 29 mars 2021 n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Pour écouter cette émission

Relation longue distance (ou pas)

Durée du projet : 2h

Nombre de personnes impliquées : une vingtaine

Ressenti : Décontenancé

9 novembre 2022. Dans le train, Saint-Étienne-Paris

Baking.js home page Page d'accueil de Baking.js

Hier soir, à l'auditorium de l'ESADSE, j'ai donné une conférence intitulée Relation longue distance (ou pas). Cette intervention proposait d'explorer la question des outils numériques collaboratifs opérant dans un même temps et un même espace, fonctionnant en général hors-ligne.

Pour cette conférence, j'ai mis en place un outil nommé baking.js 40. Il a été conçu et développé en 2015 avec Angeline 41 pour le séminaire ELIF à l'ENSBA 42. Cet outil a été pensé pour animer des conférences à plusieurs. Il permet la manipulation de médias et de textes en temps réel, depuis plusieurs appareils (ordinateurs, tablettes, smartphones). Le fonctionnement s'inspire de la pile d'images dans laquelle on viendrait fouiller pour les explorer, augmentée par des fonctionnalités numériques comme le zoom, l'affichage plein écran ou l'hypertexte. baking.js permet également au public de se connecter à l'application par un réseau local et de contribuer à la conférence par l'ajout de textes ou d'images.

Ainsi, ai-je testé ce système participatif pour la première fois hier dans le cadre du projet "Digital tools for creative collaboration". En début de conférence, j'ai donc proposé aux étudiant·es présent·es dans la salle de se connecter au wifi et de se rendre à l'adresse ip indiquée afin de commenter, hacker, troller, proposer des choses en direct, interagir avec la présentation. En moins d'une minute, la présentation est parasitée, les images préparées pour la conférence sont bougées aux quatre coins de la page, des memes ou des images générées par des AI sont ajoutées par dessus. Un enregistrement sonore se joue en boucle. La présentation est totalement trollée 43 dès le début. L'audience déstabilise. Le public continue ces perturbations sporadiquement pendant l'heure et demi de présentation, sans jamais parler de leur contribution. Quand je demande «qu'est-ce que c'est ? vous voulez en parler ?» Aucune réponse (sûrement n'ai-je pas assez insisté). Quelques collaborations semblent politiques, la capture d'un article sur le potentiel détournement d'argent de la part de l'ancien directeur de la Cité du Design, ou encore un texte « Un trou d'1,4 million d'euros dans le budget de la Cité du design ».

Finalement, j'ai proposé un outil collaboratif anonyme, où toute contribution est anonyme. La première contribution fut la perturbation, la mise en difficulté de celle qui présente, la blague, le trolling. Des revendications politiques qui ne se positionnent pas et laissent les médias parler à leur places. Personne n'assume IRL 44, personne n'en parle à voix haute, tout se passe en ligne et je continue à dérouler ma conférence. Est-ce cela participer? Est-ce cela travailler ensemble? Est-ce cela produire ensemble des communs? Est-ce cela le partage de connaissances?

Peut-être que ma position d'experte qui parle seule à une assemblée, la position du maître face aux élèves, provoque cette situation? Une révolte contre une certaine autorité, un «regardez moi, je suis là aussi», détourner l'attention, perturber l'attention.

Peut-être cette réaction première est-elle liée à nos usage numériques ? Autant comme consommat·eur·rices que comme product·eur·ices de contenu.

Screenshot after my talk Capture d'écran après ma conférence

Screenshot after my talk Capture d'écran après ma conférence

Screenshot after my talk Capture d'écran après ma conférence

baking.js se voulait pourtant participatif, abolissant en partie la confrontation scène / public, proposant d'intégrer le public à la présentation. Oser couper la parole, oser ajouter une image, en parler provoquer un débat, des discussions etc.

Face au troll, ne faudrait-il pas arrêter la présentation et forcer la discussion et le commentaire ? Est-ce vraiment ça la collaboration ?

Est-ce qu'un malentendu fait un quiproquo ?


  1. HfG, *Staatliche Hochschule für Gestaltung 

  2. Raphaël Bastide, artiste, designer graphique et enseignant 

  3. 8 journées de travail avec les étudiant·es, le jeudi toutes les deux semaines 

  4. Donna Haraway, The Cyborg Manifesto, p. 66, 1991/2016 

  5. Piero Bisello, historien de l'art et auteur 

  6. James Bryan Graves, computer scientist 

  7. Anne Laforêt, artiste 

  8. Catherine Lenoble, autrice 

  9. An Mertens, artsite et autrice 

  10. Un ornithorinque a, tout particulièrement, attiré notre attention. 

  11. Ce projet fait partie du projet Algolit: algorithme et littérature 

  12. Les chatbots sont des programmes capables de discussion dans des tchats, c'est le protocole IRC (Internet Relay Chat) qui a été utilisé. Les chatbots ont été developpés en Python. 

  13. En 2018, c'est l'anniversaire des 200 ans de la publication Frankenstein

  14. https://github.com/sarahgarcin/pj-machine 

  15. Frankenstein est un roman épistolaire. 

  16. Cette citation n'est pas réelle, elle est un résumé de la première remarque 

  17. Raphaël Bastide, artiste, designer graphique et enseignant 

  18. Louise Drul, illustratrice, artiste et designer graphique 

  19. Ce projet fait partie des réflexions menées avec PrePostPrint. Nous avons utilisé le CMS libre Processwire pour gérer les contenus provenant des emails. Nous avons ensuite utilisé les techniques liés au css print @media print{} pour la mise en page imprimée. 

  20. Des emails de type spam sont envoyés par un certain Cerisybot. Son nom laisse penser qu'il est un programme (bot, faisant référence à robot, comme dans chatbot). L'adresse email est anonyme, les contenus de ses emails semblent générés par un script Python. 

  21. La publication fait partie de la bibliothèque web2print visant à réunir []{#anchor}des éditions imprimées réalisées avec des outils libres et web. Projet de Lucile Haute et Quentin Juhel 

  22. Romain Poncato, enseignant en histoire géo 

  23. Anne Régnier, enseignante en mathématiques 

  24. Trois élèves volontaires de la classe 

  25. Pauline Gourlet, chercheuse et designer graphique 

  26. Louis Eveillard, designer d'interaction et designer graphique 

  27. https://latelier-des-chercheurs.fr 

  28. Node.js est un environnement, libre et open-source, d'exécution Javascript côté serveur. 

  29. Electron est un environnement basé sur node.js permettant le développement de logiciels codés en langages du web. 

  30. Socket.IO est une librairie Javascript et Node.js permettant l'envoie d'évènements en temps réel sur une page web ou au sein d'un logiciel (l'exemple le plus courant de son utilisation étant le tchat) 

  31. Computer grrrls est une exposition qui a eu lieu au HMKV (Dortmund) d'octobre 2018 à février 2018 et à la Gaîté Lyrique (Paris) de mars à juillet 2019. Imaginée par Marie Lechner et Inke Arns, cette exposition abordait les questions liées à l'invisibilité des femmes dans l'informatique et rassemblait des positions artistiques qui parlent des relations passées et présentes entre genre et technologie. 

  32. La station de documentation do•doc est une station modulaire et mobile en kit permettant d'utiliser plus facilement do•doc. Fabriqué en bois, elle permet d'y installer un micro et une caméra et d'utiliser un boîtier afin de naviguer dans l'interface de capture des médias. Le boîtier comprend une partie en Arduino, permettant une initiation à l'électronique et à la programmation. 

  33. En design graphique, le web2print désigne la pratique qui consiste à utiliser des langages du web pour mettre en page des documents imprimés. 

  34. Roman Seban, designer graphique et enseignant à l'EESAB Lorient 

  35. Vanilla Café, 48 rue André Joineau, 93310 Le Pré-Saint-Gervais 

  36. À radio psg matin les animat·eur·rices et invité·es sont (quasi) anonymes, nous supprimons les voyelles des noms ou des prénoms 

  37. Icecast est un logiciel libre (sous licence GPL) de type serveur de diffusion de flux (streaming), audio et vidéo. 

  38. ∏Node est une radio associative expérimentale. Radio psg matin est diffusée sur ∏Node. Ce sont ses infrastructures qui nous permettent une diffusion web et DAB+ 

  39. Le streaming provoque un décalage incompressible d'environ 15 secondes, contrairement aux ondes FM qui n'en occasionne aucun. 

  40. https://github.com/sarahgarcin/2019-bakingjs 

  41. Angeline Ostinelli, designer graphique, collectif g-u-i 

  42. elif n°1 : Résistance électronique, stratégie éditoriale et cyberféminisme. Elif proposait de suivre les pistes tracées par les créateurs-défricheurs au sein de notre écosystème numérique. 

  43. En langage internet, troller signifie poster un message ou une image dans le but de détourner / perturber une conversation pour créer une polémique. L'action de troller a plutôt une visée négative. 

  44. In Real Life, « dans la vraie vie » pour parler de la vie non virtuelle